L’éco-anxiété semble se propager dans le monde riche, et on s’en étonne. Mais le plus extraordinaire n’est pas de s’inquiéter de la disparition de la forêt sur la planète, du changement climatique irrévérsible et de toutes les pollutions qui interdiront à nos enfants et petits enfants une vie saine. Le plus incroyable, c’est que les êtres humains les plus informés du monde actuel et du monde ancien refusent, dans leur grande majorité, de voir que leur espèce s’est conduite toute seule à la catastrophe et que pour y remédier, ils devront changer leur vie.
La haine qui se propage contre les écolos, les gauchistes, les décroissants, les vegan est disproportionnée par rapport aux possibles menaces des soi-disant khmers verts : il ne prétendent pas massacrer les mangeurs de viande, les chasseurs ou les propriétaires de tout terrain, mais souhaitent seulement qu’on controle leur activité.
Pas d’analyse objective ou de construction intellectuelle complexe chez ceux qui se plaignent de l’écologie punitive : il ne s’agit que d’une pensée réflexe, jouant sur des préjugés, des simplifications. Du coup, il est difficile, voire impossible de faire réfléchir ceux qui ont volontairement choisi de s’aveugler, pour préserver leur confort intellectuel et leurs habitudes destructrices.
Pourtant ces habitudes ne sont pas des choix conscients : manger trop de viande, rouler dans des véhicules individuels, beaucoup consommer et ne penser qu’à ça sont des comportements induits du conditionnement commercial, hérités des milliers d’heures où nous avons vu, entendu, où nous avons été imprégnés des publicités mensongères et stupides : double pléonasme ! La majorité des gens aisés associe inconsciemment son niveau de confort à la vérité suprême, du dogme de la consommation et du progrès technologique.
A cet aveuglement écologique se joint une hypocrisie sociale : nous croyons sans le dire que tous les gens normaux vivent en démocratie et que nous sommes très loin, complètement séparés, des ouvriers asiatiques exploités et des journalistes assassinés pour leur droit à l’expression. Ils n’ont qu’à se révolter, ou attendre que le progrès du capitalisme leur apporte la démocratie…
Il est pourtant facile de démontrer que l’abondance des uns est bâtie sur l’exploitation des autres. Autrefois les esclaves ou les ouvriers habitaient à nos portes, aujourd’hui ils sont assez loin pour qu’on les oublie. Il est facile de comprendre que ce modèle est instable et que toute la technologie du monde ne permet pas de reboiser en un an ce que la nature, même aidée du travail des forestiers, a construit en plus d’un siècle. Il est facile de deviner se situe la mauvaise foi et l’intérêt motivant l’hypocrisie entre des scientifiques défendant la nécessité d’une décroissance et des industriels du pétrole et de la chimie se voulant rassurant.
Mais ces évidences intellectuelles sont niées, les scientifiques sont tous des menteurs, ceux qui proposent une autre organisation politique de dangereux idéologues : on préfère se mentir à soi même, s’aveugler. A ce comportement pathologique s’associe donc tout une souffrance cachée : celui qui se ment à lui même sur la décroissance, augmente intérieurement sa culpabilité, l’exagère sans doute. Abreuvé d’informations, de contre-informations, on mange et boit compulsivement, on consomme comme on appuie le pied sur l’accélérateur pour dépasser un obstacle. On choisit une religion, un parti politique qui conforte cet aveuglement et surtout qui fait oublier toute la complexité du monde, pour simplifier, se rassurer. On est près à absorber n’importe quel folle croyance, l’astrologie; le départ des riches dans une autre planète plus verte ou le paradis pour les terroristes tueurs d’enfants, en espérant oublier la culpabilité issue de l’aveuglement.
Mais se crever les yeux n’a rien résolu pour Oedipe. Il nous faut être lucide et courageux pour restaurer la nature, la paix et assurer la survie de tous nos enfants.