Le Luddisme était un mouvement ouvrier s’opposant aux débuts de la mécanisation des tissages en Angleterre. Lord Byron avait défendu à la chambre des lords, sans succès, les luddistes qui fracassaient les machines, comme le firent les canuts de la région lyonnaise quelques années plus tard.
A l’instar des luddistes et des canuts, il faut nous révolter contre cette mécanisation des esprits qui est en cours avec « l’incontournable intelligence artificielle »…
Et pourquoi donc s’opposer à un progrès technique ? La mécanisation devait permettre aux ouvriers de s’atteler à des tâches moins pénibles, moins répétitives. Elle a surtout servi à supprimer des emplois. Mais reconnaissons lui des vertus : le taylorisme a rendu certaines tâches ouvrières stupides. La mécanisation les rend obsolètes.
De même, si un programme d’ordinateur peut remplacer les saisies de formulaires, ou le fait de s’adresser à plusieurs ronds de cuir derrière un guichet, en ayant recours à des informations fiables et toujours à jour, pourquoi pas ?
Mais dans ces deux cas, cette vision optimiste est déformée. Car il existe d’autres voies d’amélioration du travail, à l’usine, au bureau ou à la ferme, bien plus intelligentes et respectueuse des capacités des uns et des autres. Donnons quelques exemples.
Produire des objets manufacturés identiques en très grand nombre est il toujours indispensable ? Bien sûr, nous sommes extrèmement nombreux et les « consommateurs » doivent bénéficier des mêmes offres de produit. Mais pourquoi ne pas préférer des objets réalisés à façon, adaptés à votre propre goût, produits avec moins de mécanisation et plus de travail manuel local ? Ils seraient plus chers ? sans doute, mais ils dureraient plus longtemps, pollueraient sans doute moins et permettraient à de petits artisans de gagner leur vie dignement. Le coût social du chomage local, l’impact des transports serait diminué. Il nous faudrait évidemment conserver ces objets plus longtemps, au lieu de les jeter quand on ne sait pas changer les piles.
Les procédures compliquées et contradictoires des administrations, mais aussi des entreprises, pour une autorisation ou pour fournir un service mériteraient d’être revues avant d’être avalées par une « IA », qui les déglutira avec des conséquences absurdes. Aujourd’hui, ces procédures imparfaites sont adaptées, ajustées, sans arrêt par ceux qui sont en charge de les appliquer à des cas toujours particulier. Et on ferait confiance à ceux qui font des programmes imparfaits plus qu’aux personnels en contact direct avec les personnes concernées ? Regardez un logigramme, la plupart d’entre eux ne sont pas vraiement dichotomiques ; il existe toujours des choix « autres » que ceux proposés. Si les programmes informatiques qui les remplacent sont de même piètre qualité, les conséquences seront bien plus terribles, car la possibilité d’adaptation faite par les employés sera perdue. Les merveilleuses innovations informatiques des années 1970-1980, qui ont permis d’écrire un texte, ou toute autre production abstraite, et de pouvoir l’améliorer sans cesse, qui ont permis des échanges d’idées à l’échelle de la planète n’ont pas fondamentalement progressé. Les progrès du XXième siècle sont commerciaux et rendent les utilisateurs de moins en moins conscients et de plus en plus stupides. Ils sont également politiques et visent à manipuler le consommateur et le citoyen.
La mécanisation des campagnes a poussé vers un modèle où un seul agriculteur contrôle un millier d’hectares avec ces machines, que pour l’instant, il utilise encore directement. Cela permet d’énormes productions et au moins à court terme, de fabuleux rendements. Cela va de pair avec une restriction des espèces, des variétés, un clonage, une simplification des procédures agronomiques, les traitements « préventifs » obligatoires. Cela entraîne la destruction des sols, la désertification des campagnes, la fin des haies, des bosquets, l’abêtissement des exploitants agricoles, qui ne se posent plus de questions techniques, faisant confiance aux technocrates qui le contrôlent via les coopératives qui leur achètent la production et vendent le matériel. Travailler le sol de ses mains est certes terrible, mais ce contact avec la nature n’abrutit pas, au contraire. Il pousse à se poser des questions, à adapter son geste à réfléchir à d’autres possiblités. Avec des milliards de travailleurs manuels cherchant un emploi qui les nourisse, il faut refuser la mécanisation des campagnes. D’autant qu’il serait souhaitable que chacun « cultive son jardin » pour produire au plus près et à moindre coût des produits variés. Les échanges de produits agricoles à l’échelle intercontinentale doivent être réservés à certains produits de haute qualité. La terre, dans tous les sens du mot, le demande.
Il ne s’agit pas de s’opposer à toute forme de mécanisation ou d’automatisation, mais il faut réduire celles-ci à des outils secondaires. Les tâches fondamentales doivent rester pleinement maîtrisées par leurs utilisateurs humains.