La surpopulation relativise les morales

Einstein a pu théoriser que les lois de Newton ne s’appliquaient pas dans l’infiniment petit, dans l’infiniment grand, quand on s’approchait de la vitesse de la lumière. De même, il faut remettre en cause de nombreux dogmes établis à des moments précis de l’humanité, lorsque celle-ci était en danger du fait de son faible nombre, par rapport à la taille de sa planète.

Aujourd’hui nous sommes en surpopulation : il y a trop d’êtres humains pour que ceux-ci s’alimentent et vivent bien, en équilibre avec les autres espèces et sans épuiser les ressources naturelles qu’ils consomment immodérément. C’est du moins le cas avec les méthodes actuelles d’agriculture et de production industrielle.

La plupart des lois en application sur la planéte sont dérivées de lois religieuses ou coutumières anciennes, établies à une époque où la préservation de la vie humaine était l’objectif crucial. On blesse quelqu’un, ce n’est pas grave. On tue un animal, ce n’est pas grave. On brûle une forêt, ce n’est pas grave, il y en a tellement. On tue un être humain, c’est gravissime. Chaque grande religion, la plupart des pays interdisent le meurtre et ne prévoient pas d’exception. Cette loi est supérieure au respect de la liberté individuelle : le suicide est souvent interdit et généralement condamné. La peine de mort, au début réservée à la loi du talion, aux seuls meurtriers, est interdite dans de nombreux pays.

A l’inverse, tous les autres crimes, le viol, la torture, les atteintes aux espèces animales ou végétales, la destruction des oeuvres d’art, les menaces à l’intérêt général, comme la pollution sont relativisées par ce crime absolu qu’est le meurtre.

La guerre entre pays est un concept peu à part de ce cortège juridique relativement cohérent, la volonté d’un souverain (un roi, un dictateur ou un peuple) lui permet de commanditer le meurtre d’un nombre immense de personnes du pays attaquant et du pays défenseur, en outrepassant l’interdit primordial de l’assassinat.

Aujourd’hui, si on considère la surpopulation humaine comme le premier risque qui pèse sur la planète, pour assurer le bien être de cette espèce humaine, ne faut il pas reconsidérer la mort comme quelque chose d’indispensable, plutot que quelque chose d’impensable ? Ne vaudrait-il pas mieux abréger la vie d’êtres humains, en commençant par ceux qui le souhaitent ? La restauration des équilibres écologiques planétaires est un objectif plus important pour la survie de notre espèce que la santé des populations. On ne doit pas faire peser des menaces supplémentaires sur des habitats ou des espèces naturels plus fragiles que nous au prétexte de notre santé, a fortiori de notre confort.

Les principes de base que la république universelle souhaite faire adopter à l’humanité, respecter la liberté de chacun, équilibrer les libertés dans la justice, organiser une société solidaire sont bien des repères absolus, mais le respect de la vie n’en est qu’une conséquence relative courante.

La préservation globale de la vie sur la planète nécessite la mort d’individus : tous les animaux mangent des êtres vivants ; la plupart des végétaux et la fonge vivent sur les restes des autres êtres vivants qui se mêlent au minéral dans le sol. Pour vivre, il faut donner la mort. C’est une considération toute relative d’équilibre dans les cycles naturels, qui doit guider notre approche. Un chasseur-cueilleur ne tue que ce dont il a besoin pour se nourrir. Trop tuer devient un crime… relatif, par définition.

Ce que nous avons le plus à redouter aujourd’hui, n’est pas la montée des pandémies, mais la continuation des guerres. Ce sont les pandémies qui engendrent le plus de morts, mais à leur suite, l’humanité se reconstruit sans haine ni rancune. Alors qu’une guerre engendre la haine, l’esprit de revanche, d’autres haines et l’instabilité économique et l’injustice sociale.

En ce qui concerne les crimes du quotidien, il faut revoir également la cartographie : tous les crimes qui sont basés sur le mépris des autres, sur une supposée supériorité de naissance, par le sexe ou la race, engendrent des souffrances terribles sur plusieurs générations. Tuer un être humain qui souhaite vivre, qui a des projets et qui n’est pas dangereux pour les autres, reste bien sûr l’atteinte la plus forte à la liberté d’autrui.

Mais qu’en est il du meurtre d’un être vivant inconscient ? un foetus de quelques semaines que ses parents ne désirent pas ? un malade atteint de démence irréversible ? un être humain conscient qui souhaite mourir de toutes ces forces ? Ces questions nécessitent chacune un développement particulier pour y apporter une réponse. Il convient chaque fois de vérifier scrupuleusement chacun des termes, qui sont, eux aussi, relatifs et variables. Mais dans chacun de ces cas, la mort envisagée est moins grave que tous les crimes cités précédemment ou la disparition d’une espèce animale ou végétale sur la planète. Le viol d’une femme est plus grave que son avortement.

La reine est morte, supprimons la monarchie.

Comment des journalistes français, instruits par la république, peuvent ils se répandre en hagiographie sur une reine et un roi ? Ne croient ils pas que les êtres humains naissent libres et égaux ? Elisabeth n’avait que peu de mérite autre que sa naissance. Son immense fortune personnelle, détournée des biens publics, lui donnait l’occasion de participer à la sinistre danse des multinationales.

Arrêtons de nous transformer volontairement en “sujets”, en marionnettes. La monarchie, c’est le règne par la force, le mensonge et la manipulation. Comment un esprit éclairé peut il prétendre que le fils aîné d’un roi, ou le dernier rejeton aprèsles guerres de succession, sera le meilleur dirigeant, alors que toute son enfance, cet enfant aura été gâté par le mensonge de sa supériorité ?

Plus l’attachement est fort à ces faux héros que sont les souverains, plus il faudra imaginer une réaction violente pour s’en détacher, alors que ces pauvres bougres, souvent haïs et victimes d’assassinat par leur propre famille ou des terroristes nationalistes, ne devraient faire l’objet que de notre mépris ou de notre compassion. Seule l’immense communauté des êtres humains doit être souveraine.

Le nouveau complexe d’Oedipe

L’éco-anxiété semble se propager dans le monde riche, et on s’en étonne. Mais le plus extraordinaire n’est pas de s’inquiéter de la disparition de la forêt sur la planète, du changement climatique irrévérsible et de toutes les pollutions qui interdiront à nos enfants et petits enfants une vie saine. Le plus incroyable, c’est que les êtres humains les plus informés du monde actuel et du monde ancien refusent, dans leur grande majorité, de voir que leur espèce s’est conduite toute seule à la catastrophe et que pour y remédier, ils devront changer leur vie.

La haine qui se propage contre les écolos, les gauchistes, les décroissants, les vegan est disproportionnée par rapport aux possibles menaces des soi-disant khmers verts : il ne prétendent pas massacrer les mangeurs de viande, les chasseurs ou les propriétaires de tout terrain, mais souhaitent seulement qu’on controle leur activité.

Pas d’analyse objective ou de construction intellectuelle complexe chez ceux qui se plaignent de l’écologie punitive : il ne s’agit que d’une pensée réflexe, jouant sur des préjugés, des simplifications. Du coup, il est difficile, voire impossible de faire réfléchir ceux qui ont volontairement choisi de s’aveugler, pour préserver leur confort intellectuel et leurs habitudes destructrices.

Pourtant ces habitudes ne sont pas des choix conscients : manger trop de viande, rouler dans des véhicules individuels, beaucoup consommer et ne penser qu’à ça sont des comportements induits du conditionnement commercial, hérités des milliers d’heures où nous avons vu, entendu, où nous avons été imprégnés des publicités mensongères et stupides : double pléonasme ! La majorité des gens aisés associe inconsciemment son niveau de confort à la vérité suprême, du dogme de la consommation et du progrès technologique.

A cet aveuglement écologique se joint une hypocrisie sociale : nous croyons sans le dire que tous les gens normaux vivent en démocratie et que nous sommes très loin, complètement séparés, des ouvriers asiatiques exploités et des journalistes assassinés pour leur droit à l’expression. Ils n’ont qu’à se révolter, ou attendre que le progrès du capitalisme leur apporte la démocratie…

Il est pourtant facile de démontrer que l’abondance des uns est bâtie sur l’exploitation des autres. Autrefois les esclaves ou les ouvriers habitaient à nos portes, aujourd’hui ils sont assez loin pour qu’on les oublie. Il est facile de comprendre que ce modèle est instable et que toute la technologie du monde ne permet pas de reboiser en un an ce que la nature, même aidée du travail des forestiers, a construit en plus d’un siècle. Il est facile de deviner se situe la mauvaise foi et l’intérêt motivant l’hypocrisie entre des scientifiques défendant la nécessité d’une décroissance et des industriels du pétrole et de la chimie se voulant rassurant.

Mais ces évidences intellectuelles sont niées, les scientifiques sont tous des menteurs, ceux qui proposent une autre organisation politique de dangereux idéologues : on préfère se mentir à soi même, s’aveugler. A ce comportement pathologique s’associe donc tout une souffrance cachée : celui qui se ment à lui même sur la décroissance, augmente intérieurement sa culpabilité, l’exagère sans doute. Abreuvé d’informations, de contre-informations, on mange et boit compulsivement, on consomme comme on appuie le pied sur l’accélérateur pour dépasser un obstacle. On choisit une religion, un parti politique qui conforte cet aveuglement et surtout qui fait oublier toute la complexité du monde, pour simplifier, se rassurer. On est près à absorber n’importe quel folle croyance, l’astrologie; le départ des riches dans une autre planète plus verte ou le paradis pour les terroristes tueurs d’enfants, en espérant oublier la culpabilité issue de l’aveuglement.

Mais se crever les yeux n’a rien résolu pour Oedipe. Il nous faut être lucide et courageux pour restaurer la nature, la paix et assurer la survie de tous nos enfants.