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Pourquoi La république universelle est charlie…

Les islamistes sont furieux de voir que leurs assassins (le terme vient précisément du premier terrorisme islamiste de l’histoire) ne suffisent pas à faire taire ceux qui veulent continuer à rire des religions, et même de Dieu. Cela devrait réjouir tous les démocrates, mais ce n’est pas le cas. Beaucoup d’intellectuels ont rejoint le camp des assassins décérébrés.

Leurs arguments, quand ils sont conçus de manière à peu près cohérente, ce qui est loin d’être toujours le cas, sont les suivants : 1. la bible et le coran interdisent les représentations de dieu, 2. se moquer de Dieu ou de ses représentants est un manque de respect des croyants, 3. ces actes doivent être interdits par la loi des hommes 4. si les blasphémateurs ne sont pas punis par la loi, les vrais croyants doivent les punir

Ce raisonnement est un sophisme complet.

En premier lieu, l’interdiction de la Bible porte sur les idoles : les images gravées d’un dieu qui n’existe pas, la superstition qui entoure les sculpltures et les images, détournent les hommes de la recherche du vrai dieu, qui n’est pas un veau d’or. C’est ce sens qui est repris dans le Coran : il faut lutter contre le polytheisme, qui éloigne les hommes du vrai et seul Dieu. Les iconoclastes de plusieurs religions ont ainsi détruit par la violence les images faites par des croyants qui cherchaient à représenter leur propre quête de Dieu. Ce n’est évidemment pas Dieu qui est offensé par sa représentation maladroite… Si une représentation du monde vous déplait, êtes vous obligé de la regarder, d’y souscrire, de la regarder ? Pour tous ceux qui croient à la liberté on peut désapprouver le culte des idoles des autres, mais cela ne justifie pas la violence directe, la destruction des églises, des statues l’extermination ceux qui n’ont pas la même religion. La bible et le coran, dans certains passages, poussent à l’anathème, au massacre des incroyants, de leurs femmes et de leurs enfants. Ces passages des textes saints historiques sont contredits par d’autres passages des mêmes livres qui montrent un dieu patient et miséricoridieux, qui pousse au pardon, soixante-dix fois sept fois s’il le faut, qui appellent les incroyants à la conversion et les croyants à la compréhension. Cela montre qu’une lecture à la lettre des textes saints est incompatible avec les principes universels qui lorsqu’ils sont établis entre les hommes leur permettent de vivre en paix : la liberté et l’égalité. La paix nécessite le respect de la pensée de l’autre.

En second lieu, il faut précisément voir ce que signifient le respect de la pensée de l’autre et se moquer de quelqu’un. Le respect, c’est avant tout la considération : je sais que tu existes, comme moi j’existe ; c’est ensuite l’égalité : tu as la même liberté que moi. On peut, on doit même, faire des reproches à quelqu’un qu’on respecte. Celui qu’on ne respecte pas, on le méprise, on nie son existence ou on le hait et on souhaite la fin de cette existence qui nous gêne. Or se moquer de quelqu’un, ce n’est pas le mépriser ou l’ignorer. Se moquer, c’est considérer quelqu’un, sentir les contradictions qui existent entre son discours, son apparence et exprimer ce décalage d’une façon qui fasse percevoir d’un coup cette distance à tous les autres, mais aussi à cette personne en particulier. Par exemple : tu t’habilles bien pour faire une bonne impression, mais tu as une tâche de tomate sur te chemise ; tu crois en un dieu d’amour, mais tu souhaites la mort des incroyants. Voila des moqueries, souvent assez drôles, qui peuvent faire réfléchir les personnes à qui elles s’adressent. Si le moqueur pense que le moqué peut comprendre et s’améliorer, la moquerie est gentille. s’il pense que l’objet de sa moquerie est indécrottable, la moquerie est méchante. Mais, même dans ce cas, le moqueur considère toujours l’homme dont il se moque comme son égal, lui qui partage sa condition d’homme faillible. C’est pour cela qu’on rit : parce qu’on se sent à la fois très proche de celui dont on se moque et très loin, grâce à la prise de conscience instantanée, surprenante, de l’humour. Cette supériorité morale du rieur sur le ridicule n’est que momentanée, elle part justement de la considération de l’autre comme son égal, même si on lui est supérieur, sur le point du ridicule. On ne se moque que de ceux qu’on respecte. Ceux qu’on ne respecte pas, on les méprise ou on les hait, ce qui est complètement différent. La haine pousse à la violence physique, ou à l’insulte. Une véritable insulte cherche réduire quelqu’un (tu es un chien), alors qu’une moquerie cherche à faire comprendre que la conduite d’untel le réduit et qu’il doit se corriger (tu aboies comme un chien).

Ensuite vient la question de l’interdiction : les interdits de la bible ou du coran doivent ils être dans la loi des hommes ? Pour une bonne partie des croyants, ces interdits s’adressent à eux et non aux incroyants. Si on croit en Dieu, on peut imaginer qu’il apprécie le sacrifice volontaire de quelqu’un qui l’aime, mais comment pourrait il apprécier le sacrifice de quelqu’un qui serait obligé de le faire ? La liberté individuelle est compatible avec la croyance en dieu, mais incompatible avec des interdits religieux qui seraient des obligations civiles, garanties par la force des hommes. La république universelle, que tous les chercheurs de paix appellent de leur voeux, doit considérer chaque homme qu’il soit athée ou croyant comme égal à ses yeux. Elle ne peut interdire à un athée, ou à quiconque, de ne pas suivre un précepte d’une des milliers de religions connues, dans la mesure où il n’exerce aucune violence sur les autres. Or la moquerie, l’art et la caricature ne sont pas des violences : ils ne sont pas fondés sur la haine, mais sur la prise de conscience et la volonté de partage de cette prise de conscience. Ils peuvent engendrer une certaine douleur momentanée chez certaines personnes : un spectateur peut souffrir en compatissant à la représentation de la douleur d’un autre, une personne caricaturée peut s’attrister de son propre ridicule. Mais cette douleur momentanée n’est pas souhaitée comme telle par l’artiste ou le moqueur, ce qu’il désire chez l’autre, après cette distanciation rapide, apportant une douleur éventuelle, c’est le partage d’une autre réalité et une réaction positive. La république doit garantir toutes les formes d’expression qui ne poussent pas à la haine. Rire des islamistes, des terroristes et des tyrans ne pousse pas à vouloir les exterminer, mais vise à diminuer leur pouvoir, en anéantissant momentanément la peur qu’ils pourraient nous inspirer. Se moquer d’eux nous empêche de les haïr et nous aide à combattre justement leurs injustices.

Enfin, un croyant qui voudrait punir par la mort ou l’emprisonnement un rieur, parce qu’il ne le respecte pas, emploie un couteau ou un fusil automatique pour se venger de quelqu’un qui n’utilise que sa plume et son humour. Cette punition, si elle était légitime n’est pas proportionnée à la faute. Mais surtout, la vengeance n’est jamais légitime. Le désir de riposte immédiate est naturel, il se confond avec la survie, c’est une légitime défense. Cette riposte est légitime si elle est immédiate et proportionnée. Quand on refuse de se confronter avec les mêmes armes que l’adversaire, c’est disproportionné et lâche. Le courage du violent, qui accepte la mort finale n’efface pas ses premières lâchetés. La vengeance intervient après un long temps. Elle prend sa source dans la haine, pas dans la justice. Elle ne cherche pas à empêcher de nuire, mais à punir, comme si le vengeur souhaitait prendre la place de la justice de hommes, organisée par la société où il vit, ou la place de Dieu. Or Dieu, s’il existe, n’a pas besoin du bras d’un homme pour se faire justice. S’il est amour, il ne peut que pleurer devant tant de haine. Ce sont les islamistes qui ne respectent pas ce Dieu auquel ils croient, en appelant au meurtre des blasphémateurs ils nient sa puissance et son amour universel.

Nous sommes tous très proches : les esclavagistes les nazis les terroristes étaient proches de leurs victimes, mais refusaient de le voir. Les humoristes, les caricaturistes, eux, se savent les égaux des êtres humains dont ils dévoilent les ridicules. Charlie est un journal qui défend, comme il l’a toujours fait, l’universalité humaine : celle de la liberté d’expression, de l’humour fraternel. Cette universalité est incompatible avec le nationalisme, l’extrémisme religieux et le communautarisme. C’est pour cela que ces déviances humaines, tellement humaines et risibles, doivent continuer à être tournées en ridicule.

De l’empathie à la haine

Les dirigeants d’extrême droite, prenant la suite des sorciers des sociétés primitives, exaltent la haine de l’étranger. A la peur spontanée du nouvel arrivant, qui spolierait des premiers habitants, s’ajoute un autre ressort psychologique plus complexe, sur lequel s’appuient les fascistes.

Une famille de migrants, dans le dénuement, déclenche en premier lieu un sentiment d’identification, puis de solidarité chez la plupart des humains. Ces sentiments découlent de la liberté individuelle et de la responsabilité que ressentent tous les êtres capables de conscience, d’imagination et d’identification à l’autre. Certains, par leur culture, leurs valeurs sont préparés à cela et s’engagent pour accueillir l’étranger.

Mais chez la plupart, lorsque succède à ce premier sentiment d’empathie la notion de responsabilité potentielle, se crée une  réaction en chaîne inconsciente quasi instantanée : si je m’engage, ça va me coûter, du temps, de l’argent, je dois me protéger, je ne vais rien faire, je me sens coupable et ce sont ces gens qui me font me sentir coupable. Le mépris des pauvres, des faibles vient alors comme une vague, et plus les gens se sentent coupables, suivant leur culture ancienne, plus leur agressivité est forte. On se met à haïr activement celui qu’on aurait du aider et qu’on a choisi d’ignorer.

Les fascistes exploitent cette réaction inconsciente, la théorisent avec le nationalisme et la protection des frontières, la glorification du travail et de la famille. Le pauvre est coupable de ne pas travailler ; le migrant économique est responsable de l’échec de son pays ; ces étrangers viennent manger le pain de nos enfants. On prêche le chacun pour soi, on magnifie la réussite individuelle, et on dénigre l’assistanat, pour faire oublier notre devoir de solidarité.

Au pire, lorsque des violences xénophobes sont mises en œuvre, les militants, devenus sicaires, qui frappent et tuent les adultes se sentent obligés de tuer aussi leurs enfants : s’ils devenaient adultes, ils viendraient tuer mes enfants pour se venger. C’était le cas des nazis, des extrémistes hutus… ce sera celui des militants du front national, quand ils organiseront de nouvelles ratonnades. La théorie de l’extermination d’une race inférieure vient également justifier cette psychose collective.

Le front national ou la ligue du nord, comme les trumpistes américains n’en sont pas encore là, mais ils nous y préparent.

 

Effet Haine

L’extrême droite française s’appuie sur la peur issue des derniers attentats terroristes. Le front national redouble sa présence dans les media, sur les marchés, pour plaider la fermeture des frontières, la lutte impitoyable contre tous ceux qui ressembleraient à des terroristes.

La tactique millénaire du terrorisme fonctionne trop bien : les attentats, ciblés ou aveugles, engendrent la colère, la peur, la haine. Ils favorisent, dans la majorité, le recours à des politiques plus autoritaires. Même la gauche française au pouvoir choisit de diminuer les droits individuels pour lutter plus efficacement contre les terroristes.  Cette efficacité est illusoire : si cela gêne temporairement les terroristes, cela crée forcément des injustices. Tous les musulmans innocents qui seront arrêtés, poursuivis, insultés, mis à l’écart se sentiront victimes d’injustice. Parmi eux, certains seront des proies pour les prosélytes extrémistes et quelques uns deviendront eux-mêmes terroristes, compensant les terroristes arrêtés grâce aux mesures sécuritaires. Evidemment, le front national, s’appuyant sur la peur et la haine, montera encore dans les sondages.

La seule réponse consiste, non pas à « conserver nos valeurs démocratiques », celles ci sont trop altérées dans nos lois, nos divisions en états, mais à refonder une société plus juste encore, plus libre, plus équitable plus solidaire. Le terrorisme n’aura alors plus de prise sur les esprits.